La première femme bachelière en 1861
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"La femme pauvre par une femme pauvre"
Née dans les Vosges au sein d’une famille nombreuse en 1824, Julie-Victoire Daubié, elle-même issue de la petite bourgeoisie, se trouve très vite confrontée à la misère de la condition ouvrière. Dès l’enfance, elle côtoie les mères célibataires au travers du bureau de bienfaisance de la Manufacture royale, qui produit du fer-blanc dans sa région. Douée pour l’étude, elle passe en 1844 le brevet d’institutrice qui lui permet de devenir préceptrice et d’aller enseigner le français en Allemagne.
En 1859, elle participe au concours lancé par l’Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Lyon. Son mémoire, La femme pauvre par une femme pauvre, traite des injustices dont souffrent les femmes en milieu populaire, auxquelles elle s’identifie. Il obtient le premier Prix.
Deux ans plus tard, elle demande à être autorisée à passer l’épreuve du baccalauréat. "Aucune loi écrite n’interdit à une femme de se présenter au baccalauréat", déclare-t-elle. Elle étudie le latin et le grec, fréquente les cours du Museum national d’histoire naturelle et, après un cursus d’autodidacte ( avant 1881, il n’existait aucun lycée pour filles ), elle obtient le diplôme en 1861. Elle est alors âgée de 37 ans.
Engagée pour l’éducation des filles
Julie-Victoire Daubié réclame l’égalité des filles et des garçons devant l’instruction, la mixité des écoles, leur gratuité, la fin de la tutelle religieuse et politique sur l’enseignement. Elle critique les "lettres d’obédience", qui dispensent les religieuses de passer le brevet de capacité à enseigner. Or l’éducation des filles, encadrée, depuis 1850, par les Lois Falloux qui rendent obligatoire l’ouverture d’écoles primaires pour filles dans les communes de plus de 800 habitants, est encore sous la coupe de l’Eglise.
Il faudra attendre Jules Ferry pour que toutes ces avancées soient votées : "Réclamer l’égalité d’éducation pour toutes les classes, ce n’est faire que la moitié de l’œuvre, que la moitié du nécessaire, que la moitié de ce qui est dû ; cette égalité, je la réclame, je la revendique pour les deux sexes… La difficulté, l’obstacle ici n’est pas dans la dépense, il est dans les mœurs". Le ministre fait d’ailleurs appel à Julie-Victoire Daubié pour siéger au sein d’une commission consultative sur l’enseignement communal.
Passionaria pragmatique
Cette passionaria écrit pour plusieurs titres de presse, notamment Le Droit des femmes, rebaptisé L’Avenir des femmes après la Commune. Un hebdomadaire lancé par Léon Richer, libre-penseur salué comme le "fondateur du féminisme" y compris par Simone de Beauvoir.
" Comment ne pas dénoncer l’invincible logique des faits attardant la femme sur la route de la civilisation ou la jetant dans l’ornière du progrès à chaque nouveau pas de l’homme qui marche sans elle, quand ce n’est point sur elle. "
Elle donne des conférences, des lectures, fréquente des cercles d’influence et participe à la création ou au développement d’associations d’envergure tournées vers les femmes et vers la paix, dans lesquelles elle se positionne, pragmatique, pour l’émancipation "progressive" des femmes, le droit de vote étant prôné pour les célibataires et les veuves, avant d’accéder à une parfaite égalité face aux droits civiques. "Comment ne pas dénoncer l’invincible logique des faits attardant la femme sur la route de la civilisation ou la jetant dans l’ornière du progrès à chaque nouveau pas de l’homme qui marche sans elle, quand ce n’est point sur elle," écrit-elle.
Ridicule témérité ?
Réédité en 1866, son mémoire sur La femme pauvre au XIXème siècle, est primé un an plus tard à l‘Exposition universelle de Paris. Julie-Victoire Daubié correspond aussi avec George Sand et Alexandre Dumas fils dont elle préfacera plus tard "La question de la femme".
Fervente militante en faveur du droit de vote des femmes, elle écrit en 1868 au ministre de l’Intérieur : "En réservant le métier de journaliste aux "Français jouissant des droits civils et politiques", la nouvelle loi sur la presse entend-elle écarter les femmes ? A moins que la terminologie de "Français" s’applique bien, comme il en est d’usage dans la société de l’époque, aux deux sexes. Auquel cas, il n’y a aucune raison d’empêcher les femmes d’accéder au suffrage universel !"
Jugé téméraire, "propice au ridicule", l’article passe à la trappe. Ce raisonnement sera heureusement repris par Hubertine Auclert, digne héritière de Julie-Victoire, pétitionnaire de talent et harceleuse pour la bonne cause, quand elle engagera, en 1880, une grève des impôts pour les femmes dès lors qu’elles n’ont aucune voix au chapitre de l’élaboration des lois. Et quand elle aura marché dans les pas de Julie-Victoire Daubié qui, en 1870, après la Commune et la proclamation de la République, écrit au Maire du VIIIème arrondissement de Paris pour demander son inscription sur les registres électoraux. En vain bien évidemment !
Au-delà de l’instruction, du suffrage universel, de l’accès des femmes aux carrières professionnelles et aux emplois publics, Julie-Victoire Daubié s’attaquera à des injustices et autres scandales plus intimes. Le Code Napoléon interdit la recherche de paternité, consacrant l’impunité des hommes face à leurs enfants illégitimes. Des enfants soumis à la double peine, puisque privés de leurs droits. Une pétition est lancée aussi contre l’irresponsabilité juridique qui couvre les acteurs de la prostitution, autre fléau touchant les femmes sans ressources.
Dernier fait d’armes, et non des moindres : dix ans après avoir obtenu son baccalauréat, Julie-Victoire Daubié tente de forcer les portes de l’université, fermées aux femmes. Elle sera la première, en 1871, à réussir les examens lui octroyant une licence en Lettres - sans jamais avoir été autorisée à fréquenter les cours !
Julie-Victoire Daubié est morte en 1874, emportée par la tuberculose à 50 ans.